Un choc économique violent aux effets durables
Un confinement strict a été imposé à l’ensemble de la population dès la fin mars. Il a été légèrement assoupli depuis le 1er mai, mais l’évolution de l’épidémie a conduit les autorités à réintroduire des restrictions ces derniers jours. De fait, l’épidémie a démarré doucement mais accélère de manière inquiétante depuis quelques semaines. Au 15 juillet, le pic épidémique n’était pas atteint, et le pays comptait déjà 311 000 cas d’infections et 4 450 décès, pour une population de 59 millions d’habitants.
Les conséquences économiques de la crise sanitaire sont sévères, d’autant plus qu’elles frappent une économie très fragile, en récession depuis la mi-2019. La croissance n’a atteint que 0,8% par an en moyenne de 2015 à 2019, freinée par de fortes contraintes structurelles, et quasiment stoppée l’an dernier du fait d’importantes coupures d’électricité. Au T1 2020, alors que les effets directs du confinement n’étaient pas encore visibles, le PIB réel a reculé de 2% en rythme trimestriel annualisé (après déjà -1,4% au T4 2019 et -0,8% au T3 2019).
Avec le confinement, l’activité s’est effondrée dans tous les secteurs au mois d’avril, pour ensuite rebondir timidement. Ainsi, la production du secteur manufacturier a plongé en avril de 44% en rythme mensuel et de 49% en glissement annuel (g.a.). Sur la base des indices des directeurs d’achat (PMI), la production a rebondi en juin, mais reste bien en deçà de ses niveaux d’avant-crise (graphique 2).
L’économie devrait enregistrer une contraction sans précédent au T2 2020, avant de se redresser difficilement à partir du second semestre – en supposant que le pic épidémique aura été dépassé. Après une récession de 8,5% attendue en 2020, le rebond devrait être limité en 2021, contraint par le potentiel de croissance très faible de l’Afrique du Sud (estimé à 1,5% avant le choc sanitaire). Selon nos prévisions actuelles, le pays ne devrait retrouver son niveau de PIB réel d’avant la crise du Covid-19 qu’en 2025. Le contexte social, marqué par des taux de pauvreté, des inégalités de revenus et un chômage très élevés, va se dégrader davantage. Le taux de chômage officiel atteignait 29,1% fin 2019 (57,1% chez les jeunes de 15 à 24 ans) et a déjà augmenté à 30,1% au T1 2020. Les conséquences sociales peuvent être atténuées par les mesures de soutien introduites par le gouvernement mais, d’une part, la marge de manœuvre budgétaire est étroite, et d’autre part, l’impact des mesures est limité par l’importance du secteur informel (environ 30% de l’emploi). Au moins les ménages pourront-ils bénéficier de la désinflation des prix à la consommation. Ces derniers ont augmenté de 2% en g.a. en mai 2020 (contre 4% en décembre 2019), soit le taux d’inflation le plus bas des quinze dernières années. L’inflation devrait rester dans un intervalle de 2% à 3% au cours des prochains trimestres, les pressions déflationnistes liées à la chute de la demande et à la baisse des prix du pétrole compensant largement les effets inverses de la dépréciation du rand. Cette dynamique des prix accroît la marge de manœuvre de la banque centrale pour assouplir la politique monétaire (les autorités monétaires ont retenu une cible d’inflation comprise entre 3% et 6%). Le taux d’intérêt directeur a déjà été réduit de 275 points de base (pb) depuis le début de l’année (taux repo de 6,50% à 3,75%). Il devrait être encore abaissé au second semestre, sauf si les marchés financiers sud-africains connaissent un nouvel épisode de stress.
Un choc financier temporaire, qui peut se répéter
L’Afrique du Sud a été l’une des économies les plus touchées par le mouvement de défiance des investisseurs internationaux vis-à-vis des marchés émergents au T1 2020. Les sorties de capitaux ont été importantes, conduisant à de fortes corrections sur tous les marchés d’actifs. Le rand s’est déprécié de plus de 30% contre le dollar sur les quatre premiers mois de 2020, avant de regagner 8% depuis fin avril. Malgré l’assouplissement monétaire, les rendements sur les obligations souveraines à 10 ans sont passés de 9,1% en moyenne en décembre à 11,2% en avril, et fluctuent autour de 10% depuis. Enfin, le spread EMBI sur la dette extérieure dépassait encore 520 pb début juillet.
Les tensions financières se sont un peu atténuées au cours des trois derniers mois. L’Afrique du Sud reste cependant un des pays émergents les plus exposés au risque de retournement du sentiment des investisseurs étrangers étant donné la fragilité de ses fondamentaux macroéconomiques. Le déséquilibre de son compte courant devrait se réduire cette année (soutenant alors le rand) du fait de la chute des importations et de l’amélioration des termes de l’échange, mais la dynamique des comptes publics est très préoccupante.
Finances publiques en danger
La dégradation des finances publiques, déjà préoccupante avant la crise sanitaire, va fortement s’aggraver cette année. Le déficit du gouvernement national (central) s’est établi à 6,7% du PIB pour l’année budgétaire 2019-2020 (qui s’étend d’avril à mars), contre 4,7% en 2018-2019 et 3,9% en 2016-2017. À la faiblesse des recettes fiscales, l’augmentation des dépenses courantes et la hausse de la charge d’intérêts sur la dette, s’est ajouté l’an dernier le coût du sauvetage de l’entreprise publique Eskom. Le déficit primaire du gouvernement est ainsi passé de 1% du PIB en 2018-2019 à 2,8% en 2019-2020, soit le niveau le plus haut des dix dernières années. Les intérêts sur la dette ont atteint 4% du PIB et absorbé près de 14% des recettes budgétaires. Si cette charge n’est pas encore excessive, elle atteint des niveaux record pour le pays et va encore s’alourdir au cours des prochaines années.
Le dérapage budgétaire va maintenant s’accélérer sous l’effet de la récession économique et du vaste plan de relance introduit par le gouvernement depuis fin avril. Ce plan s’élève à ZAR 500 mds (USD 27 mds), soit environ 10% du PIB estimé de 2020. Il comprend : ZAR 140 mds d’aides aux entreprises en difficulté pour payer les salaires et maintenir l’emploi, ZAR 70 mds de réductions d’impôts en faveur des entreprises, ZAR 50 mds de subventions aux ménages, ZAR 40 mds de dépenses additionnelles dans le secteur de la santé (personnel, infrastructures), ainsi qu’un programme de garanties des prêts bancaires (pour un total pouvant monter jusqu’à ZAR 200 mds, soit 4% du PIB). Le fonds d’assurance chômage (Unemployment Insurance Fund) doit utiliser ses réserves pour financer une partie des aides en faveur de l’emploi. D’autres mesures seront financées via des réallocations budgétaires (notamment au détriment de l’investissement public). Le reste sera une charge supplémentaire pour le gouvernement central. Au total, son déficit devrait plus que doubler pendant l’année budgétaire 2020-2021, et atteindre 14,5% du PIB. Avec des tombées de dette de ZAR 65 mds, les besoins de financement du gouvernement représenteront près de 16% du PIB en 2020-2021, contre 8% en 2019-2020. Cette forte hausse survient alors que la dégradation des finances publiques des dernières années a conduit à des révisions des notations souveraines par les principales agences de rating, une méfiance croissante des investisseurs étrangers et une hausse du coût de financement du gouvernement. Celui-ci a donc dû ajuster sa stratégie de financement.
Point de confort pour le gouvernement, près de 90% de sa dette est en rand et les institutions financières locales sont ses créanciers les plus importants. Les banques, assurances et fonds de pension détenaient 52% du stock de bons du Trésor à la mi-2020 (contre 48% fin 2019). Ces institutions devraient pouvoir couvrir près de la moitié des besoins financiers du gouvernement cette année (soit environ 7% du PIB), mais difficilement plus, d’autant que les banques ont déjà acheté une bonne partie des titres vendus par les investisseurs étrangers ces derniers mois. Ceux-ci ne détenaient plus que 30% du stock de bons du Trésor fin juin, contre 37% fin 2019, et leur désengagement devrait se poursuivre à court terme. Par conséquent, le gouvernement prévoit de puiser dans ses dépôts et réserves (pour un montant équivalant à environ 2,5% du PIB) et espère émettre sur les marchés internationaux (pour un montant qui s’approcherait de 0,5% du PIB). Il aura également recours à de nouvelles sources de financement. D’une part, il négocie auprès des créanciers multilatéraux pour obtenir jusqu’à USD 7 mds de financements, soit 2,5% du PIB. La « ligne de financement rapide » du FMI pourrait s’élever à USD 4,2 mds, le reste viendrait de la Nouvelle banque de développement des BRICS (USD 1 md), de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement. D’autre part, la banque centrale a initié ses achats de bons du Trésor sur le marché secondaire : ils s’élevaient à ZAR 20 mds à fin juin (environ 0,5% du PIB) et pourraient représenter 2% du PIB sur l’ensemble de l’année. Les montants engagés par la banque centrale sont donc modestes, et ne devraient pas avoir d’effet macroéconomique important.
La dégradation de la solvabilité de l’État est préoccupante. La dette du gouvernement, déjà passée de 51% du PIB en mars 2017 à 63% en mars 2020, devrait atteindre 82% d’ici mars 2021 à cause de la hausse des déficits et de la contraction du PIB nominal (auquel s’ajoute l’effet modéré de la dépréciation du rand). Seules de vastes réformes structurelles, qui permettraient notamment de renforcer le potentiel de croissance sud-africain, pourront améliorer la dynamique de la dette publique à moyen terme. Une fois passée la crise sanitaire, la tâche du gouvernement Ramaphosa restera donc immense.